En Afrique, la lutte acharnée pour sauver les derniers manchots

En Afrique du Sud, des vétérinaires et conservationnistes se démènent pour protéger les manchots du Cap. Surpêche, pollution sonore et grippe aviaire menacent d’extinction ce petit oiseau marin.

Le Cap (Afrique du Sud), reportage

Au son du clapotis de l’océan Atlantique, dans une petite baie rocheuse au sud de la ville du Cap, dans le sud-ouest de l’Afrique du Sud, un groupe de touristes s’émerveille : la colonie de manchots du Cap de la réserve de Stony Point, environ 3 200 oiseaux à son effectif, s’apprête à accueillir quatre membres de plus.

Une par une, timidement, les petites têtes noires et blanches émergent de boîtes en carton renversées sur la plage. Un pas hésitant, puis un autre… Et enfin, les jeunes manchots — qui se distinguent des pingouins par leur incapacité à voler — plongent dans les vagues. « Ils s’intégreront vite au reste de la colonie », rassure le garde forestier Gavin Petersen, à l’attention des quatre bénévoles venus relâcher leurs protégés à la vie sauvage.

« Ils s’intégreront vite au reste de la colonie », estime, confiant, le garde forestier Gavin Petersen. © Rodger Bosch / Reporterre

« Attention aux manchots sous vos voitures ! » annonce un panneau sur le parking du parc. Ici, ces oiseaux marins sont rois. Ils se dandinent sur les rochers, nichent dans des centaines de terriers creusés dans les jardins voisins, batifolent dans l’eau… Mais ce portrait idyllique cache une réalité plus inquiétante : d’ici une quinzaine d’années, le seul manchot d’Afrique pourrait bien avoir disparu. L’espèce a vu sa population chuter de 73 % au cours des trente dernières années.

L’Afrique du Sud ne compte aujourd’hui plus qu’environ 10 000 couples en âge de se reproduire : cinq fois moins que la population minimale nécessaire pour permettre à l’espèce de subsister jusqu’en 2100. Ce petit oiseau marin emblématique des plages sud-africaines est plus menacé que le rhinocéros blanc.

Rencontrer des manchots dans la région est fréquent, au point où beaucoup ne se doutent pas que sa survie est menacée. © Rodger Bosch / Reporterre

« Beaucoup de gens ne savent même pas que le manchot du Cap est en voie de disparition, parce qu’ils en voient toute l’année dans les colonies terrestres autour du Cap », regrette Christina Hagen, conservationniste à l’organisation de préservation des oiseaux BirdLife South Africa : « Mais la majorité se reproduit sur des îles inaccessibles — et là, leur déclin est effrayant. »

« Beaucoup nous arrivent maigres et en sous-poids »

En cause : le dépérissement des populations de sardines et d’anchois, base de l’alimentation des manchots, décimées par la surpêche et les changements climatiques. « Beaucoup d’oiseaux de mer nous arrivent maigres et en sous-poids, sans aucune blessure apparente », explique Peter Van der Linde, 30 ans, qui travaille depuis six ans dans le centre de réhabilitation de la Fondation d’Afrique australe pour la conservation des oiseaux côtiers (Sanccob). D’une main ferme, il ouvre le bec d’un jeune manchot et, malgré ses protestations, le gave d’un poisson agrémenté de vitamines en poudre.

L’association, fondée en 1968 suite à une terrible marée noire, prends chaque année soin de milliers d’oiseaux blessés, malades ou abandonnés, avant de les relâcher à la vie sauvage. Une tâche qui, pour Peter Van der Linde, a « quelque chose de magique ». Protégés du soleil par une bâche en plastique, une dizaine de manchots fraîchement soignés tournent en rond dans une petite piscine de fortune pour leur deuxième baignade de la journée.

Les manchots ont droit à plusieurs petites baignades dans la journée avant d’être relâchés. © Rodger Bosch / Reporterre

Mais le hangar qui les accueille, en banlieue du Cap, n’est pas dans son état normal : suite à la détection, il y a deux mois, d’une souche de grippe aviaire particulièrement dangereuse, les locaux de Sanccob sont en stricte quarantaine.

« En 2021, la grippe a tué au moins 200 manchots et près de 20 % de la population totale de cormorans — alors, quand elle s’est déclarée dans notre centre, on a cru que l’on perdrait tous nos oiseaux », se remémore douloureusement David Roberts, un jeune vétérinaire à Sanccob.

Une bonne partie du soin consiste à nourrir les manchots. © Rodger Bosch / Reporterre

Depuis novembre, les conservationnistes de l’association prennent soin, jour et nuit, de près de 500 oiseaux et poussins. Jusqu’à présent, seuls six ont péri de la maladie. « On est épuisé, mais au moins les oiseaux ont survécu ! » sourit le vétérinaire. Car au vu de l’état de l’espèce, « chaque manchot individuel compte ».

« Une épidémie, une tempête, une marée noire… Pour une espèce menacée, chacun de ces événements peut précipiter leur disparition », explique-t-il. Et avec le changement climatique« nous voyons de plus en plus de ces événements catastrophiques ».

En Afrique du Sud aussi, la grippe aviaire menace les populations d’oiseaux sauvages. © Rodger Bosch / Reporterre

Un cas en particulier effraie les scientifiques. L’île de Saint-Croix, un rocher situé dans la baie d’Algoa, au sud-est du pays, abritait il y a encore quelques années la plus grande colonie au monde de manchots du Cap — près de 10 000 couples. Mais dans les cinq dernières années, sa population s’est effondrée de 85 %.

« Les manchots n’ont été retrouvés nulle part »

« C’est maintenant l’une des plus petites colonies au monde : la colonie entière a quasiment disparu », s’inquiète David Roberts. « Les manchots n’ont été retrouvés nulle part, ceux qui avaient des puces électroniques ne sont pas réapparus, et aucune des colonies voisines n’a grandi. »

Les scientifiques craignent que des colonies entières ne s’éteignent. © Rodger Bosch / Reporterre

Après Saint-Croix, d’autres colonies pourraient s’éteindre. D’autant qu’elles sont exposées à une nouvelle menace : depuis 2016, la baie d’Algoa est la première route maritime du pays à autoriser le ravitaillement en carburant offshore, directement d’un navire à un autre.

Une pratique qui a considérablement augmenté le bruit sous-marin — et selon une étude publiée en novembre 2022, cette hausse est fortement corrélée avec la disparition des manchots. « On parle là de milliers d’oiseaux », commente le jeune vétérinaire.

La surpêche des poissons dont se nourrissent les manchots, notamment les sardines, est l’une des causes de leur déclin. © Rodger Bosch / Reporterre

L’année 2023 pourrait s’avérer cruciale : le gouvernement sud-africain doit évaluer prochainement un éventuel moratoire sur les activités de pêche à proximité des colonies, un projet déjà en phase d’expérimentation depuis 2008. Entre les défenseurs des manchots et l’industrie de la pêche, le débat est source de tensions.

Mais pour David Roberts, « on ne peut plus se cantonner à soigner des individus : il faut absolument préserver tout l’écosystème ». Sinon, dit-il, « il est très probable que je verrai le manchot du Cap disparaître au cours de ma carrière ».

Ces vétérinaires redoutent de voir disparaître de leur vivant cette espèce qu’ils s’emploient quotidiennement à protéger. © Rodger Bosch / Reporterre

Pour enrayer l’effondrement des colonies, les associations et scientifiques cherchent à créer de nouveaux espaces protégés pour les manchots. Une toute première colonie « artificielle » a vu le jour, à deux heures de route de Stony Point  : la bien-nommée réserve De Hoop (« espoir » en néerlandais), où les réserves de poisson restent abondantes.

Faux manchots et hauts-parleurs

« Nous avons construit une grille pour les protéger des caracals, installé une trentaine de faux manchots en ciment, diffusé des cris de manchots dans des hauts-parleurs, relâché des centaines de jeunes oiseaux et campé avec eux sur place », dit Christina Hagen, de BirdLife South Africa, qui a mené ce projet pionnier.

Des années de travail finalement couronnées, en novembre dernier, par une belle surprise : « J’observais à travers mes jumelles deux manchots assis sur un rocher, quand j’ai aperçu un troisième, plus petit : un poussin ! » se souvient-elle, encore émue.

Des naissances de manchots dans de nouvelles colonies « artificielles » donnent de l’espoir aux scientifiques. © Rodger Bosch / Reporterre

Cette naissance, la première à De Hoop depuis quinze ans, marque un tournant : une fois qu’un couple de manchots a choisi une colonie, ils y reviennent chaque année. De Hoop pourrait donc grandir dans les années à venir. Une victoire à laquelle s’accrochent les conservationnistes.

« Cela me donne de l’espoir pour l’avenir de l’espèce : si on leur offre les bonnes conditions, les manchots peuvent encore se reproduire et survivre par eux-mêmes », dit Christina Hagen. « Ce sont les seuls manchots d’Afrique : tant que nous le pouvons, nous avons encore la responsabilité de les sauver. »

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