Un « concours créatif » à destination des établissements scolaires organisé par la Fondation TotalÉnergies provoque la colère à La Réunion. La major pétrolière « s’achète une image » avec la bénédiction de l’Éducation nationale.
La Réunion, correspondance
Un concours d’affiches pour promouvoir la sécurité routière, et de jolis logos sur les documents officiels de l’Éducation nationale. Voilà l’une des stratégies de TotalÉnergies à La Réunion pour « s’acheter une image philanthropique », selon Tiphaine, coordinatrice du groupe local de Greenpeace. Tout a commencé début décembre. Les établissements scolaires de l’Académie de La Réunion ont reçu un courrier du rectorat les informant de la mise en place d’un « concours international de création d’affiches sur le thème de la sécurité routière » — concours organisé par la Fondation TotalÉnergies. Scandalisée par un tel partenariat, une enseignante a décidé d’alerter associations environnementales et syndicats. Nombre d’entre eux, ainsi que des députés, sont montés au créneau pour tenter de faire annuler un partenariat qu’ils qualifient de « contre-nature », et ont lancé une pétition. Contactés, ni TotalÉnergies ni le rectorat n’ont répondu à nos questions.
Ce « concours de créativité », appelé Via Creative, est simple. Les trois groupes d’élèves auteurs des meilleures affiches sur le thème « Sur le chemin de l’école, marchons en toute sécurité » seront récompensés par des bons d’achat de produits culturels. Le groupe gagnant pourra être gratifié d’un voyage à Paris. « Le programme VIA et le concours VIA Creative sont déployés aujourd’hui dans trente-cinq pays auprès de plus de 300 000 jeunes », assure la Fondation.
« TotalÉnergies s’achète une image philanthropique »
« J’étais outrée lorsque j’ai découvert ce courrier. Je me suis dit qu’il fallait alerter, essayer de sensibiliser. Mais c’est vrai que les réactions ne sont pas toujours celles qu’on attend. Beaucoup de gens sont fatalistes », détaille l’enseignante lanceuse d’alerte, qui préfère rester anonyme. Les opposantes et opposants au projet dénoncent notamment le projet Eacop de TotalÉnergies en Tanzanie et en Ouganda, à quelques milliers de kilomètres — « pas très loin d’ici », soulignent-elles. Là-bas, la construction de plus long oléoduc chauffé du monde est une bombe climatique qui entraîne « déforestation, déplacement de populations » et la « destruction d’espaces protégés ». Est également pointée du doigt la volonté de la compagnie d’exploiter deux nouveaux champs gaziers au large de l’Afrique du Sud afin de, selon elle, contrer la crise énergétique.
- Des militants contre le projet Eacop de Total en Tanzanie, à la marche climat parisienne du 12 mars 2022. © NnoMan Cadoret/Reporterre
Selon Greenpeace, l’académie de La Réunion est la seule à être partenaire de ce concours. « L’Éducation nationale n’a pas d’argent pour financer ce genre de projets, donc elle est preneuse d’initiatives », dit Tiphaine, de Greenpeace. Qui assure que TotalÉnergies frappe à la porte des écoles depuis bien longtemps. « Depuis l’été 2022, la loi Climat interdit la publicité sur les énergies fossiles. Par contre, cela ne pose pas problème de voir le logo de TotalÉnergies affiché sur des documents au sein des établissements scolaires. C’est complètement ridicule. » La loi Climat et Résilience veille, aussi, à ce que « l’éducation à l’environnement et au développement durable » soit « dispensée tout au long de la formation scolaire, d’une façon adaptée à chaque niveau et à chaque spécialisation ».
La compagnie pétrolière en milieu scolaire
Si un principe de neutralité s’applique dans les établissements scolaires en matière commerciale (article 511-12 du Code de l’éducation), dans le Bulletin officiel de l’Éducation nationale en date du 5 avril 2001, un « code de bonnes conduites des interventions des entreprises en milieu scolaire » autorise les partenariats avec les entreprises — parrainages, actions de sensibilisation, mécénat… Voilà pourquoi des majors pétrolières telles que TotalÉnergies peuvent dispenser des formations sur l’écologie aux élèves et étudiants ou proposer des concours ludiques sur des thématiques consensuelles.