200 jeunes ont réfléchi pendant quatre jours aux énergies du futur lors du « Forum des Jeunesses » du ministère de l’Écologie. Une expérience qui a multiplié leurs connaissances, leurs attentes et leur déception du gouvernement.
Cité des sciences, Paris, reportage
Dimanche 22 janvier après-midi à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris : pendant que les visiteurs des expositions profitent de leur week-end, on discute de l’avenir du mix énergétique au sous-sol. C’est le dernier jour du « Forum des Jeunesses » qui rassemblait pendant quatre jours 200 Français de 18 à 35 ans pour débattre sur l’avenir du mix énergétique.
Lancé par le ministère de la Transition énergétique, ce forum clôt une concertation publique avec l’objectif d’inclure des propositions dans le cadre de la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC), prévu en juin 2023. En seulement quatre jours, les jeunes répartis en groupe ont été formés sur les enjeux énergétiques, qu’ils ont ensuite débattus pour restituer devant, notamment, la Première ministre Élisabeth Borne.
« Ils m’ont proposé de venir en avion »
Assis à des tables rondes recouvertes de nappes blanches, ces jeunes sont venus de tous les coins de la France et des Outre-mer. Ils et elles ont été tirés au sort et recrutés par l’Ifop. « On a reçu un texto à propos de l’événement », raconte Gunay, carreleur de 21 ans venue de Colmar. Comme il n’était pas dans un parti politique mais « un citoyen neutre », il pouvait y participer. « Quand je suis venu, je ne connaissais pas grand-chose à propos de l’écologie, ça ne m’intéressait pas vraiment », dit-il. Il est désormais bien plus conscient des enjeux climatiques.
Pour ces quatre jours de travail, les jeunes reçoivent 200 euros en plus du remboursement des frais pour l’hôtel et les billets de train — ou d’avion. « Oui, ils m’ont proposé de venir de Toulouse en avion si c’est trop compliqué avec les trains, un peu ironique », dit Joris, musicien et comédien de 32 ans. « Moi aussi », ajoute Gunay en riant.
Les premiers jours du forum, des scientifiques et représentants du Haut Conseil pour le climat, du WWF (Fonds mondial pour la nature), de RTE (Réseau de transport d’électricité), du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), de l’Ademe (Agence de la transition écologique) et de Négawatt ont présenté des scénarios pour 2050 selon les changements apportés à nos modes de vie et à nos mix énergétiques. Tous les scénarios visaient à une stratégie de neutralité carbone en 2050 pour « devenir le premier grand pays industriel à sortir des énergies fossiles » en respectant la chronologie du Giec.
- Grève pour le climat à Paris, le 25 septembre 2022.
Quatre garants de la neutralité des échanges issus de la Commission nationale du débat public étaient présents. « Il y avait un vaste panel de possibilités, mais quand on est arrivé en débat, ça semblait déjà très orienté avec des axes choisis, comme le maintien du nucléaire », raconte Clément, 33 ans. Selon lui, le groupe Négawatt qui propose un scénario sans nucléaire était fortement sous-représenté par rapport au volume horaire des autres.
Les idées préconçues avec lesquelles les jeunes étaient arrivés ont parfois changé, comme pour Amandine, étudiante en master de droit : « Par exemple sur l’hydraulique : on entend toujours que c’est l’avenir mais pendant le forum, je me suis rendu compte que c’est plus compliqué, que c’est coûteux et que ça demande beaucoup d’eau. »
« En apprenant sur les enjeux climatiques, nos attentes augmentaient aussi. »
Joris, son voisin de table, ajoute : « En apprenant sur les enjeux climatiques, nos attentes augmentaient aussi. » C’est pour cela qu’il était un peu « perplexe » de découvrir lors du premier jour que les sénateurs ont supprimé l’objectif de réduire à 50 % le nucléaire dans le mix électrique, lors de l’examen de la Loi nucléaire.
À la pause de midi où des petits snacks étaient servis, les options végétariennes étaient rares. « On a dû se battre pour avoir une offre végétarienne. Je trouve ça drôle quand ensuite on me présente des scénarios de mix énergétiques avec des réductions de 30 ou 50 % des quantités de viande consommée », dit Joris.
Est ensuite venu le moment de formuler des messages-clés, à transmettre aux ministres et parlementaires présents. Divisés en six groupes d’une trentaine de personnes, les jeunes essayaient de résumer tout ce qu’ils avaient appris et ce qu’ils souhaitaient en seulement quatre phrases. Un débat vif, cadré par un modérateur listant les idées. Mais le temps pressait, le planning était strict. Alors tout n’a pas eu le temps d’être noté avant l’arrivée des ministres.
Un apprentissage trop bref
Surprise : à côté d’Olivier Véran, ministre délégué chargé du Renouveau démocratique, la première ministre, Élisabeth Borne, est entrée dans la salle. Les jeunes ont sorti leurs smartphones, quelques huées se sont faites entendre au fond de la salle. « J’ai à cœur que les réponses soient construites dans la concertation nationale. Je suis à l’écoute de vos travaux », a dit la cheffe du gouvernement. Deux représentants de chaque groupe se sont avancés vers la scène pour annoncer leurs conclusions aux ministres.
L’aspect éducatif de l’événement était un point positif qui revenait dans tous les groupes, mais aussi sa trop courte durée. « Notre groupe a débattu jusqu’au dernier moment, mais c’était impossible de formuler seulement quatre phrases. Ça atteste de la grande diversité de la jeunesse », dit Sarah sous les applaudissements. Le groupe d’Eunice abondait dans le même sens : « Il faut prendre en compte la diversité des populations françaises. » Et de poursuivre : « Tout le monde n’avance pas à la même allure, pour certains, avoir à manger à la fin du mois est prioritaire sur le fait d’avoir un panier bio. »
- Plusieurs participants ont exprimé leur déception face à la prise en compte minimale de leurs conclusions par le pouvoir. © Mathieu Génon / Reporterre
Et de donner des exemples : éduquer et sensibiliser mieux toute la population sur l’urgence climatique au-delà du cadre scolaire, renforcer la démocratie directe, comme la Convention citoyenne pour le climat (CCC) le proposait, avec des référendums, par exemple sur le délit d’écocide. « Vous avez des jeunes qui ne regardent pas du tout les infos à la télé, allez chercher l’ensemble de la population par tous les moyens », a ajouté Eunice. « Nous demandons de prendre des mesures courageuses ambitieuses », disait Clarisse, Joris soulignant qu’ils sont « inquiets que ce forum ne soit qu’une caution démocratique, qu’une campagne de greenwashing par le gouvernement ».
Croissance et nucléaire
Élisabeth Borne s’est défendue en rappelant que « les débats actuels sur les ZFE ou la zéro artificialisation nette sont issue de la CCC ». En ce qui concerne une meilleure écosensibilisation de la population, elle a promis d’en parler avec le ministre de l’Éducation. « Sans doute peut-on mieux faire ». Quand il est question du nucléaire, elle défend son idée du mix équilibre de l’énergie renouvelable et du nucléaire. « On agit. Dans les prochaines semaines, on aura à voter pour accélérer le développement du nucléaire. » Olivier Véran a ajouté qu’il est contre une logique de décroissance, proposé dans quelques scénarios traités, car, avance-t-il, « ça fait exploser les inégalités sociales ».
Ces interventions ont provoqué le mécontentement des jeunes.« Vos réponses sont longues et vides de sens, ça m’aide pas », a dit Clément, 27 ans. Un autre jeune homme a demandé pourquoi la ministre de l’Écologie n’était pas là. À la clôture, les ministres sont partis en promettant de revenir vers les jeunes. « On ne voit pas de vrais résultats », a réagi David. « Surtout qu’Olivier Véran est opposé à la décroissance, qui était un point essentiel de tout ce qu’on a dit », ajoutait son camarade Guillaume « La croissance et la sobriété, ça ne va pas ensemble. »
Contactée par Reporterre, Pauline Boyer de Greenpeace France rappelle « l’aspect antidémocratique de la relance du nucléaire en parallèle du Forum de Jeunesses », avec des annonces passées au Sénat avant même le début du débat. Et estime que « quatre jours pour une réflexion sur le mix énergétique sont largement questionnables, comparés au travail intense de la Convention citoyenne pour le climat pendant neuf mois ». « Ça crée de l’envie de faire mais, à la fin, il y a peu d’espace pour vraiment réussir à faire quelque chose », résume Joris.